L’idée d’un « centre politique » dans l’Amérique moderne est largement considérée comme un mythe par de nombreux analystes. La conception commune veut que l’électorat américain soit réparti le long d’un axe politique linéaire, allant de la gauche à la droite, avec la majorité des électeurs occupant une position modérée au centre. Cette théorie, souvent reprise par les médias traditionnels et les partis politiques, postule que les candidats qui veulent remporter les élections doivent courtiser cet électorat centriste en adoptant des politiques modérées. Toutefois, cette vision simpliste de l’électorat est loin de refléter la réalité politique des États-Unis.
En 2016, Hillary Clinton, candidate du Parti démocrate, a adopté cette stratégie en tentant de séduire les électeurs centristes. Pourtant, elle a échoué à remporter l’élection présidentielle, malgré une campagne ciblant cet électorat supposément décisif. Les erreurs de calcul de sa campagne ont mis en lumière un changement fondamental dans la composition de l’électorat américain : de nombreux citoyens ne se situent plus au centre, mais adoptent des positions plus radicales, tant à gauche qu’à droite. Ce phénomène, que certains politologues appellent l’ascension des « indépendants radicaux », remet en question la pertinence de la stratégie centriste dans le paysage politique actuel.
Les politologues Larry Bartels et Christopher Achen, dans leur ouvrage *Democracy for Realists*, soulignent que l’idée d’une majorité d’électeurs modérés est une simplification excessive de la réalité. Ils contestent le modèle spatial qui définit l’électorat comme un continuum linéaire, avec des électeurs situés quelque part entre la gauche et la droite. Ce modèle suppose que la plupart des électeurs préfèrent des politiques modérées, et que les partis doivent se rapprocher du centre pour maximiser leurs chances de succès. Or, les recherches montrent que cette représentation ne correspond plus à la réalité électorale. Une étude réalisée en 2014 par David Broockman et Douglas Ahler révèle que les électeurs n’adhèrent pas massivement à des positions centristes, sauf sur quelques questions, comme les droits des homosexuels et l’environnement.
Sur de nombreuses autres questions, les électeurs se tournent vers des solutions radicales. Par exemple, la légalisation complète de la marijuana et des politiques d’immigration très restrictives, telles que la déportation massive des sans-papiers, sont des positions qui attirent un large soutien. De même, des mesures économiques radicales, comme l’instauration d’un revenu maximum ou une augmentation significative des impôts pour les plus riches, recueillent plus d’adhésion que les politiques modérées proposées par le Parti démocrate ou républicain.
Cette réalité met en lumière l’une des principales erreurs des partis politiques traditionnels : en se concentrant sur la recherche de l’électorat centriste, ils négligent les préoccupations réelles des électeurs, qui cherchent des réponses claires et radicales aux problèmes économiques et sociaux. Les médias et les politiciens qualifient souvent de « centristes » les politiques qui favorisent les grandes entreprises, tandis que des solutions plus audacieuses, comme la redistribution des richesses ou l’extension des droits sociaux, sont écartées.
Pourquoi alors les partis continuent-ils à poursuivre cet électorat « centriste » qui semble ne plus exister ? Une explication réside dans le rôle de l’argent en politique. Les candidats, qu’ils soient démocrates ou républicains, sont souvent financés par des entreprises et des donateurs fortunés, qui ont un intérêt direct à maintenir le statu quo économique. Ce financement les pousse à adopter des politiques modérées, même si celles-ci ne répondent pas aux attentes d’une grande partie de la population. Comme le souligne David Broockman, les politiciens qui bénéficient de ce soutien financier sont qualifiés de « modérés » par la presse, mais leurs positions sont souvent éloignées des préoccupations des électeurs ordinaires.
L’échec des démocrates à remporter les élections dans de nombreux États, ainsi qu’au niveau fédéral, s’explique en grande partie par leur incapacité à répondre aux demandes des électeurs pour une réforme économique. Bien que des solutions existent pour réduire les inégalités, améliorer l’accès aux soins de santé ou résoudre la crise de la dette étudiante, ces propositions sont jugées politiquement inaccessibles par les élites politiques. Pourtant, l’exemple des pays nordiques montre qu’il est possible de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie en investissant dans des politiques sociales ambitieuses. Aux États-Unis, ce genre de politiques reste cependant perçu comme « radical » et trop éloigné du centre politique.
Il semble donc clair que l’Amérique moderne n’a plus de véritable « centre politique ». Les électeurs sont de plus en plus polarisés, et les candidats qui tentent de courtiser un électorat modéré risquent de s’aliéner à la fois les électeurs de gauche et ceux de droite. La montée des indépendants radicaux, qu’ils soient de droite ou de gauche, est un signe que l’Amérique est en pleine transformation politique. Si les partis politiques veulent rester pertinents, ils devront repenser leur approche et offrir des solutions plus audacieuses aux problèmes économiques et sociaux du pays.
En conclusion, l’idée d’un centre politique en Amérique est une fiction qui ne correspond plus à la réalité. Les partis politiques, en particulier les démocrates, doivent cesser de courir après cet électorat illusoire et se concentrer sur les véritables préoccupations des citoyens. Le changement viendra de ceux qui osent proposer des solutions nouvelles et radicales, plutôt que de ceux qui cherchent à maintenir le statu quo.