Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont été amenés à faire évoluer leurs modes de fonctionnement et à mettre en place des outils de gestion à visée performative pour tenter de répondre à l’injonction de «faire plus et mieux avec moins », Imposée par les pouvoirs publics
La gestion de ces établissements a obtenu dorénavant plus procédurale et repos sur les normes techniques et des outils de pilotage financier alors qu’elle était plus intuitive et portait sur la relation humaine.
Ou, la recherche montre que cette gestion des Ehpad bouleverse les soignants et impacte leur motivation et leur santé au travail. La crise sanitaire liée au Covid-19 a rendu plus visible leur souffrance.
De nouveaux défis liés à la gestion des ressources / relations humaines apparaissent donc dans ces structures. Les 56 entretiens réalisés dans sept Ehpad avec des salariés et des managers nous ont permis d’en identifier cinq: la gestion des tensions de rôle, la construction d’une relation managériale réussie, la gestion de la santé au travail, le recrutement et la fidélisation des aides soignants et enfin la gestion des équipes pluridisciplinaires.
Des managers sous tension
La fonction managériale en Ehpad s’est progressivement structurée parallèlement à l’évolution de l’environnement réglementaire du secteur médico-social. Alors que les premiers gestionnaires ont inventé les outils d’intervention sociale et d’accompagnement contemporains, ceux d’aujourd’hui appliqués la déclinaison locale de politiques publiques.
Ils sont dorénavant soumis aux normes gestionnaires et aux indicateurs standardisés. Les métiers de direction et d’encadrement deviennent plus complexes humainement, plus compliqués techniquement et plus denses temporellement.
Ainsi, de nombreux gestionnaires notent que le manque de temps et de moyens les ont de remplir convenablement leurs missions. Ils se sont confrontés donc aux tensions de rôle dans le sens où il leur semble impossible de répondre aux attentes de toutes les parties prenantes internes et externes de l’Ehpad de façon satisfaisante.
«Avant que je parte (en arrêt-maladie), je n’étais quasiment plus du tout dans les couloirs, j’étais dans mon bureau et je gérais les problèmes qui s’amoncelaient sur mon bureau» (Infirmière coordinatrice).
Il y a donc eu besoin d’aide et d’anciens gestionnaires à la gestion du temps et des priorités, de leur donner plus d’autonomie et de liberté dans le prix de décision et de leur allouer plus de moyens pour améliorer les conditions de travail des soignants et la qualité de la prise en soins des résidents.
La qualité de la relation coconstruite entre les soignants et leurs managers, appelée relation managériale, déterminée déterminante de la motivation et de la santé au travail.
En effet, les soignants, pour faire face à leur environnement de travail de plus en plus contraignant, sollicitent le soutien social de leurs managers: proximité relationnelle, écoute, dialogue et reconnaissance. «Sur un besoin de communiquer avec la direction pour se soulager»; «Quelqu’un qui est proche de nous, qui sait nous écouter quand on dit quelque chose», déclarent deux aides-soignantes.
Les modes de gestion et de communication internes adoptés par les Ehpad s’avèrent donc déterminants de la qualité de la relation managériale.
Toutefois, de nombreux gestionnaires privilégiés une gestion normative et économique afin de se conformer aux directives des autorités de tutelle (Agence régionale de santé, Conseil départemental). Leur gestion repose sur une stratégie de réduction des coûts et sur un panel d’outils d’évaluation et de contrôle.
Ces managers se concentrent sur la réalisation des activités administratives et financières et négligent l’animation de leurs équipes. La communication avec ces dernières se produit souvent descendante par le biais de notes de service ou de réunions. Les interactions et les échanges sur le travail se font donc rares.
Les soignants déclinent ce mode de gestion fondé sur une logique purement économique et «marchande». Ils contestent également les modes de communication formels qui instrumentalisent le dialogue et empêchent de s’exprimer sur leur travail.
Ils remettent donc en cause la légitimité de leurs managers et adoptent ipso facto des comportements de retrait comme l’absentéisme. «Il n’y a plus de confiance en la direction. Les soignants ont beaucoup de frustration »selon une infirmière.
Un soignant lors de la manifestation en faveur d’une revalorisation du secteur de la santé, le 16 juin 2020, ici à Rennes. Damien Meyer / AFP
Afin d’avoir une relation managériale réussie, les gestionnaires sont invités à privilégier une relation de proximité avec les soignants et à développer des comportements managériaux positifs comme la bienveillance. Ainsi, les outils de gestion à visée performative pourraient être accompagnés par une organisation du travail plus humaine favorisant un mode de fonctionnement collaboratif au service du résident.
Préserver la santé au travail des soignants
Les soignants sont exposés à des situations de travail susceptibles d’engendrer de la souffrance et du mal-être au travail telles que l’intensification du travail, les conflits de valeurs et la charge émotionnelle forte.
L’intensification du travail est recherchée par:
la réduction des effectifs soignants qui s’explique par l’insuffisance de la dotation des soins attribués par l’agence régionale de santé (ARS);
l’absentéisme, le renouvellement des effectifs et le déficit d’attractivité du secteur;
l’évolution des profils de résidents marqués par l’accroissement de leur niveau de dépendance;
la complexification du travail lié au niveau d’exigence des autorités de tutelle en matière de qualité et de sécurité des soins.
Les conflits de valeurs s’expliquent par le fait que les soignants sont exposés à une relation ambivalente dans la construction de leur relation d’emploi. Ils ont une implication au métier «forte», avec la volonté d’être un meilleur accompagnement des résidents.
Néanmoins, leur désir du travail bien fait entre frontalement en conflit avec la logique de la performance économique. Cette situation ambivalente heurte les valeurs des soignants.
Enfin, ces derniers sont confrontés à des situations de travail à forte charge émotionnelle. Ils sont en effet confrontés en permanence à la maladie et à la mort et doivent faire face à un stress important lié au comportement des proches des résidents qui deviennent de plus en plus exigeants.
Ainsi, le climat social délétère (conflits et clivages entre fonctions et avec les managers) peut être généré dans le nombre d’Ehpad peut engendrer des sentiments de frustration, de déception ou de détresse psychologique chez les soignants.
«Pouvoir prendre le temps avec les résidents, ça leur (aux soignants) manque. Il y a une espèce de frustration personnelle par rapport au travail que vous avez l’impression de mal accomplir »(Infirmière coordinatrice)
Les Ehpad auraient donc mis en place des actions et des outils de gestion des ressources humaines adaptées (développement des espaces de discussion sur le travail, par exemple) afin de préserver la santé au travail des soignants.
Aide-soignant, un métier peu attractif
De nombreux Ehpad éprouvent des difficultés à recruter et à fidéliser des aides-soignants formés et diplômés pour répondre aux besoins de prix en soins spécifiques et complexes.
Les postulants aux concours d’entrée des instituts de formation ne semblent pas en nombre suffisant pour garantir des promotions complètes. Le manque d’attractivité de ce métier, lié principalement à des conditions de travail difficiles, à des rémunérations peu stimulantes et à un manque de considération du travail accompli, semble se traduire par un désinvestissement de la filière dès la formation initiale.
Par ailleurs, cette dernière ne s’est pas adaptée à l’évolution des besoins du terrain et des aides-soignants recrutés manquants de connaissances sur le prix en soins des personnes atteintes de troubles cognitifs majeurs.
«On se demande où sont les personnes qui sortent des écoles aides-soignantes et qui ne sont jamais embauchées… je ne sais pas, mais en tout cas, quand elles sont embauchées, elles ne restent pas. »(Directrice)
La mise en place d’une politique de gestion des carrières personnalisée mêlant gestion des compétences, formations et possibilités d’évolution professionnelle rendues nécessaires pour tenter d’attirer et de fidéliser les aides-soignants.
Le management des équipes pluridisciplinaires
Pour garantir une meilleure prise en charge des soins aux résidents, les Ehpad se dotent d’experts dans les domaines variés, avec notamment l’entrée de nouveaux métiers dans les établissements comme ceux d’ergothérapeute et de psychomotricien.
Plusieurs cultures professionnelles sont donc amenées à travailler ensemble pour apporter une réponse à la fois globale et personnalisée à chaque résident: culture administrative, culture médicale et paramédicale, culture hôtelière, culture sociale.
La diversité des métiers et des cultures constitue incontestablement une richesse susceptible de répondre à la globalité des besoins des résidents, mais néanmoins, il serait nécessaire de mettre en place une organisation du travail facilitant la coordination et la coopération entre les différentes fonctions (gestion par projet, par exemple) afin d’avoir des clivages et des conflits entre fonctions observés dans de nombreux Ehpad.
Au regard de ces nouveaux défis de gestion des ressources / relations humaines, les Ehpad sont invités à mettre en place, sur la base de négociations et de concertation, notamment sur l’organisation du travail, les conditions de travail et la gestion des carrières et des rémunérations, avec les différentes parties prenantes (pouvoirs publics, salariés…) des nouvelles stratégies de gestion des ressources humaines (GRH) plus adaptées aux besoins et aux valeurs des soignants.
La crise sanitaire liée au Covid-19 a en effet montré combien le GRH se révèle déterminante de la performance des Ehpad et de la sécurité et de la santé des résidents. Le management du quotidien devrait donc être dorénavant être au service de l’humain.